Guillaume Po

Réduction d’un tableau à son pixel moyen

Johannes Itten proposait à ses élèves de l’École des arts appliqués de Zurich d’étudier les tableaux des maîtres anciens en les réduisant à leurs couleurs essentielles : cette analyse conduisait à l’élaboration d’une échelle faite de bandes colorées. Selon la proportion de chaque couleur dans le tableau, les bandes étaient plus ou moins larges. Par ce procédé de décomposition, les contrastes, les harmonies et les équilibres chromatiques étaient immédiatement perceptibles.

Si la méthode employée par le théoricien suisse était encore artisanale, l’ordinateur nous permet aujourd’hui de poursuivre ce processus de réduction de façon plus complète. Imaginons un appareil capable de scanner tous les tableaux d’un musée. Chaque tableau est examiné, puis transformé en un document numérique en quadrichromie. Le document se compose d’un certain nombre de pixels ou picture elements (on aura pris soin de scanner toutes les œuvres selon le même protocole). On relève la densité chromatique de chacun des pixels, c’est-à-dire la quantité de cyan, de jaune, de magenta et de noir qu’ils contiennent, quantité exprimée pour chaque couleur en pourcentage. Il est facile alors de calculer la valeur moyenne des pixels, et par conséquent la couleur moyenne du tableau (exprimée en quadrichromie).

Cette opération permet dans un premier temps de classer les œuvres du musée non par technique, par pays ou par genre, chronologiquement ou thématiquement, mais selon la place de leur pixel moyen sur le cercle chromatique. Pour peu que d’autres musées suivent cet exemple, puis que les collections du monde entier subissent le même sort, on pourrait imaginer la totalité de la production picturale humaine (ou animale) contenue dans le cercle. Les rapprochements fortuits entre les tableaux qui en découleraient raviraient sans nul doute les glossateurs, et les spectateurs, pris dans le vertige du potentiel, verraient dans chaque pixel un chef-d’œuvre.

Pour l’artiste, cette méthode s’avère également stimulante, car elle offre quantité d’applications. La première consiste à réaliser un ou plusieurs tableaux se situant au même point du cercle chromatique qu’un autre, déjà célèbre. C’est une façon rapide et efficace de rivaliser avec les plus grands maîtres et, en quelque sorte, une variante de la contrainte du Tableau à couleur mesurée présentée page XXX : en partant des proportions de cyan, magenta, jaune et noir que recèle le pixel moyen du Portrait du docteur Gachet ou de Broadway boogie-woogie, par exemple, il est facile de calculer la quantité de peinture à employer dans la composition d’une œuvre qui leur serait équivalente – les dimensions de celle-ci important peu, dans la mesure où les proportions seront respectées.

Une autre contrainte serait d’imaginer, pour chaque chef-d’œuvre, son tableau complémentaire : de cet équilibre naîtrait sans doute un sentiment d’achèvement. Une autre encore serait de réaliser une série d’œuvres se situant toutes sur un même rayon du cercle, ou toutes à la même distance du centre… Les applications ne manquent pas.