Thieri Foulc


Cofondateur de l’Oupeinpo en 1980

Métapuncture rayonnante

La Métapuncture est au potentiel comme l’acupuncture à la médecine : il s’agit de repérer et d’utiliser des points décisifs, en vue d’un certain résultat qui sera une oeuvre, non de santé, mais de Pein.

Le nom de Métapuncture est issu d’une faute de lecture chez un éditeur lors d’une publication de l’Oupeinpo, faute qui fut précieusement conservée par votre serviteur parce qu’elle conférait à la notion ainsi forgée une sorte d’autorité extérieure, indemne de toute subjectivité «artistique ».
Soit un texte à illustrer. On tient à ce que l’illustrationsoit rigoureuse, c’est-àdire contrainte par le texte même, et non pas livrée aux seules interprétations et évagations de l’artiste. On élit le titre du texte, ou on lui en donne un, qui sera aussi le titre de l’illustration. On divise la feuille en deux. L’une des moitiés contiendra le texte, l’autre l’illustration. On marque le centre exact du papier. Dans le texte manuscrit ou typographié, on repère les lettres du titre, qui s’y trouvent disséminées (au besoin, on a créé un titre dont toutes les lettres sont puisées dans le texte). Dans la partie vierge de la feuille on marque les symétriques de ces points par rapport au centre. On se trouve alors avec un semis de points dont la distribution est tout sauf arbitraire puisqu’elle résulte du texte même à illustrer. Par tous ces points on fait passer un dessin qui, bien entendu, doit aussi illustrer le texte au sens ordinaire. On obtient ainsi une véritable illustration sous contrainte, une illustration littéralement « symétrique » du texte.
La Métapuncture rayonnante est une des méthodes inventées à l’Oupeinpo pour obtenir sur une surface des points par où faire passer un dessin. La première du genre fut la Cassification, qui utilise la casse typographique comme matrice de répartition des lettres d’un texte sur une surface.
L’Apparition des G, qui exploite toutes les occurrences d’une même lettre dans une page typographiée, procède différemment mais avec une finalité identique (on envoit un exemple parmi les « dopages visuels » qui illustrent les Formes cyclistes de Paul Fournel).
Le terme de Métapuncture a été utilisé pour désigner l’obtention de points par intersection de deux dessins superposés. La Métapuncture rayonnante a paru adéquate au portrait d’un cycliste, même descendu de vélo : le centre de symétrie y est comme le moyeu d’une roue dont les rayons lient le dessin au texte.

Le Multichrist

Alors que les règles d’assemblage examinées précédemment opèrent par juxtaposition, on a voulu explorer aussi la voie de la superposition. Celle-ci se divise immédiatement en deux : d’un côté, la voie mystique des matériaux opaques, où la superposition a pour effet de masquer les couches inférieures, grâce à quoi l’opération est de résultat nul pour le spectateur (mais non pour qui a souci des couches invisibles) ; de l’autre, la voie de la transparence, devenue commodément praticable grâce à l’ordinateur.

Comme le collage, la superposition a surtout été utilisée jusqu’ici en vue d’effets oniriques, surréalistes, expressifs, entièrement abandonnés à l’instinct des auteurs. Nombreux exemples en photographie, au cinéma, en peinture aussi, avec les « transparences » de Picabia et de quelques autres. Le Multichrist oupeinpien, lui, se préoccupe des règles qui vont organiser la superposition.

Comme matériau initial, on choisit des Crucifixions en vue frontale et l’on se donne comme règle de les superposer en faisant coïncider les croix, plus précisément le point idéal qui constitue l’intersection de

la hampe et de la traverse. L’objectif est d’observer ce qui se passe quand deux ou plusieurs Christs se trouvent fixés à une même croix.

Comme toutes les opérations simples, celle-ci fait surgir de multiples questions, notamment :

– comment régler la proportion entre les images (reproductions) que nous utilisons ? Une fois les intersections mises en repère, on peut se régler sur l’un des clous du Christ, par exemple mettre en repère  les clous de main gauche. Cela détermine la proportion, mais on observe des effets indésirables, dont le moindre sera généralement la non-coïncidence des clous de main droite. Dans les exemples présentés ici, on a rendu égale l’épaisseur du bois de la croix (hampe verticale, en cas d’inégalité avec la traverse) ;

– convient-il de conserver intégralement les images superposées ? Il est loisible de s’intéresser à ce qui se passe, en fait de superposition, au pied de la croix ou dans le paysage d’arrière-plan, mais superposer des images complètes engendre le plus souvent des situations confuses, surtout si l’on utilise plus de deux images. Une solution élégante a été trouvée par Jean Castel qui a détouré certains Christs et leur croix de façon à concentrer l’intérêt sur eux, en éliminant le paysage ;

– l’ordre de superposition, la luminosité relative des images ou de secteurs d’image, la lisibilité de certains détails sont des questions proprement artistiques qui ne concernent pas l’Oupeinpo (mais doivent être prises en compte).

Intersection


On appelle intersection un ensemble E dont les éléments appartiennent à la fois à un ensemble A et à un ensemble B (E = A Ç B). Dès l’origine, l’Oupeinpo a imaginé des œuvres intersectives, et même des supports, des matériaux, du matériel de peintre intersectifs.

Une œuvre intersective est aisée à concevoir en volume. Soient deux volumes A et B que l’on conduit à s’interpénétrer. Une fois fixée leur position, on élimine ce qui dépasse de l’un et de l’autre, pour ne garder que la partie commune. Certes, dès qu’il s’agit de matériau réel, de marbre par exemple, l’interpénétration est difficile à réussir, mais ce n’est qu’un problème technique, qui ne concerne pas l’Oupeinpo1. D’ailleurs, Aline Gagnaire en est venue à bout. Avec deux œuvres classiques du Louvre, ou du moins des répliques petit format, elle a réalisé la Vénus de Samothrace. Elle aurait pu aussi bien l’intituler la Victoire de Milo.

Dans une telle œuvre, les formes visibles des volumes sont intersectives, mais le matériau l’est aussi. Du point de vue du matériau, en effet, qu’est-ce qui est commun à la Vénus et à la Victoire ? Non pas les particules particulières qui les composent, mais le marbre en tant que matière. Dans le cas des répliques, le plâtre, le fait d’être en plâtre. La Vénus de Samothrace fut exécutée dans le plâtre même des répliques de la Chalcographie du Louvre.

Plus complexe est la réalisation d’une peinture intersective. Pour augmenter les chances de trouver des éléments communs, choisissons deux œuvres de sujet similaire, par exemple L’Enterrement du comte d’Orgaz, du Greco, et Un enterrement à Ornans, de Gustave Courbet. Première constatation : le premier, l’artiste mystique, a traité son sujet tout en hauteur (4,60 mètres de haut) ; le second, le réaliste, tout en largeur (6,68 mètres de large). De grands pans de l’un et de l’autre vont « dépasser » et être éliminés – notamment, le registre supérieur et « céleste » du Greco, qui n’a rien de commun avec le Courbet.

Deuxième constatation : si les deux tableaux sont proches par le sujet, leur traitement s’oppose à de nombreux égards2. Il faudrait inverser certaines données de l’un des tableaux, au moins le retourner gauche-droite, avant de relever des éléments communs.

Car il faut préciser ce qu’on entend par « éléments communs » entre deux tableaux. Si l’on peut réduire un marbre à son volume3, une peinture est plus complexe. Il faut en retenir les formes et les couleurs, mais aussi les effets de matière ou la « lecture » qu’on fait des objets, personnages ou arrière-plans figurés. De sorte que l’identification d’éléments communs relève d’une interprétation.

Il existe toutefois un point de départ commode. Dans l’un et l’autre tableau, un officiant tient un crucifix monté sur une hampe. L’intersection de la croix constitue un repère précis. Prenons des mesures. Dans les deux cas, l’intersection se trouve à 2,80 mètres au-dessus du bord inférieur du tableau (avec une incertitude minime, due au calcul sur reproductions). Commençons donc par mettre les deux reproductions à la même échelle. Retournons l’un des tableaux gauche-droite, comme ci-dessus dit. Superposons les images en plaçant l’intersection de leurs crucifix en repère. Il s’ensuit que les bords inférieurs coïncident et que la position respective des deux tableaux est également déterminée en longitude.

Éliminons ce qui dépasse, soit presque toute la partie cintrée du Greco et les deux extrémités du Courbet. Nous conservons un format « intersectif » : en hauteur, la plus courte des deux mesures, celle du Courbet, 3,14 mètres ; en largeur, également la mesure la plus courte, celle du Greco, 3,60 mètres. Un léger début de cintrage se manifeste de chaque côté, dans le haut.

À l’intérieur de ce cadrage, on trouve, communs aux deux œuvres : le crucifix déjà mentionné, dans la même position (la hampe affichant une infime et identique inclinaison), et vingt-sept personnages grandeur nature (sans compter le cadavre ni le chien). Parmi ceux-ci, dans les deux cas : un prêtre portant la chape et lisant ses formules dans un livre, deux personnages arborant le costume de leur état (deux moines ou deux juges), un enfant tenant un objet (torche ou aiguière). Harmonie en noir, rouge et blême (outre les ors de l’un et les terres de l’autre). Similaire effet tiré de l’alignement des têtes. Il reste à exécuter une nouvelle œuvre à partir de ces données. Le titre lui-même sera intersectif : l’Oupeinpo parle de L’Enterrement du comte d’Ornans ; un traitement littéral donne Enterrement Or4.

Il est une autre façon de procéder. Tirer des deux œuvres des reproductions strictement à la même échelle. Les scanner avec la même définition. Les superposer, comme ci-dessus, et ne conserver que le recadrage intersectif. Les deux images se répondent alors pixel pour pixel. Mais deux pixels dans la même position seront le plus souvent de couleur différente. Conserver seulement ceux qui sont identiques dans l’une et l’autre image : ils composent le nouveau tableau.

1 Vite dit. Si l’on considère qu’une œuvre, chose mentale, est aussi un objet unique, concret, si sa vérité est justement d’être chose mentale matérialisée, il est exclu de l’abstraire pour la réduire à un ensemble mathématique d’éléments. Le problème n’est donc pas technique, mais théorique. Ce qui ne saurait déstabiliser l’Oupeinpo, au contraire.

2 Format en hauteur / format en largeur. Registre double / registre unique. Demi-cercle / rectangle. Couleurs flamboyantes / couleurs terreuses. Épisode légendaire, ancien / épisode réel, contemporain. Ciel peuplé d’anges et de saints / ciel vide. Mort et officiants venant de droite / venant de gauche. Cadavre montré / cadavre (probablement) enfermé dans sa bière, elle-même sous un drap funéraire. Fosse invisible (hors champ) / fosse montrée (au premier plan), etc.

3 Ce qui est une opération d’abstraction, cf. note plus haut.

4 D’autres intersections on été proposées : Les Joueurs de tartes (Cézanne/ Bruegel), Le Radeau de Médicis (Géricault/Rubens), L’Enlèvement des glaneuses (David/Millet), La Leçon de pommes de terre (Rembrandt/Van Gogh), 21 mars 1987.

Onomométrie

A = 1, B = 2, C = 3, etc. À chaque lettre de l’alphabet correspond un nombre. La mesure, millimètre, pouce ou autre, mais toujours de longueur, est choisie en fonction du format souhaité pour l’œuvre finie.

À toutes les lettres d’un nom, ou d’une phrase, ou d’un texte, on fait correspondre ainsi un segment. Les extrémités de ces segments alignés sur un axe constituent une structure oupeinpienne utilisable ad libitum. Pour les Portraits onomométriques vus de face, la longueur des segments détermine les proportions du visage et remplace les canons classiques – dont il n’est pas besoin de démontrer ici l’arbitraire et les fortes variations selon les époques. La première ligne horizontale marque le haut de la tête, la deuxième le haut du front (implantation des cheveux), la troisième les sourcils, la quatrième les pupilles des yeux, la cinquième la base du nez, la sixième la fente de la bouche, la septième la pointe du menton, les suivantes les « accessoires inférieurs » tels que double ou triple menton, extrémité de la barbe, nœud de cravate et, si le nom possède beaucoup de lettres, tous les boutons d’une redingote. En revanche, malheur à ceux dont le nom comporte moins de six lettres : le bas du visage leur manque…

En utilisant mes points onomométriques comme passages obligés pour toutes les sécantes d’un axe vertical, j’ai réalisé un Autoportrait – ressemblant ! On pourrait encore disposer les points sur deux axes perpendiculaires et exécuter un portrait, voire une scène de genre ou de bataille, en coordonnées onomométriques.